Blogue Axel Evigiran

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La dispersion est, dit-on, l'ennemi des choses bien faites. Et quoi ? Dans ce monde de la spécialisation extrême, de l'utilitaire et du mesurable à outrance y aurait-il quelque mal à se perdre dans les labyrinthes de l'esprit dilettante ?


A la vérité, rien n’est plus savoureux que de muser parmi les sables du farniente, sans autre esprit que la propension au butinage, la légèreté sans objet prédéterminé.

Broutilles essentielles. Ratages propices aux heures languides...


21 août 2014

Milet, sur les traces de Thalès et d'Anaximandre





Nous arrivâmes aux abords de Milet au milieu d’un après-midi d’Août sous un soleil de plomb. Il y avait peu d’ombres et les pierres surchauffées se noyaient dans le paysage, si bien que tout d’abord nous ne vîmes rien qu’une vaste plaine semée d’éboulis épars… Le silence était rafraîchissant ; une paix juste picorée de la trille des criquets…
  
Milet est pudique et ne se laisse découvrir, ne se livre que peu à peu. Ici l’impatience est vaine… Certes, il faut faire des efforts d’imagination pour se représenter la cité Ionienne au temps de sa splendeur. Peu de monuments sont encore debout, où pour le moins présentant un aspect proches de ce qu’ils furent ; il faut dire que les habitants de la contrée, jadis, des générations durant, ont récupérés moult pierres sur le site pour bâtir leur propres demeures. Et comme à Ephèse, il faut imaginer l’eau venir rafraîchir deux parties de la ville ; l’une sur le continent, l'autre dans une presqu'île, les deux étant reliées par un isthme que fermaient de hauts murs d'enceinte. Mais contrairement à la cité d’Héraclite ou à Priène, ici, de reliefs il n’y en a point, où si peu ; juste une ligne bleutée dans le lointain, fermant l’horizon au nord. Autre contraste saisissant (pour notre plus grand bonheur) : les hordes de touristes affairés ne prennent pas le temps de s’en venir échouer dans les ruines de Milet, là où Thalès, l’un des sept sages de la Grèce antique, expira par déshydratation dans les gradins du théâtre alors qu’il assistait à une compétition.Diogène Laërce nous relate ainsi sa mort :

« Thalès le Sage mourut en assistant à une rencontre sportive, du fait de la faim, de la soif, et de la faiblesse de l'âge». On grave sur son tombeau :

« Petit est ce tombeau, mais au ciel va sa gloire.
Regarde, c'est celui de Thalès, grand esprit. »

Nous-mêmes avons composé sur lui l'épigramme suivante, éditée au premier livre de nos Epigrammes et mètres divers :

« Tandis qu'il contemplait une lutte sportive,
Zeus Solaire, tu as, hors du stade, ravi
Thalès dont la sapience avait fait le renom.
Je te loue de l'avoir rappelé près de toi,
Car il était très vieux, et depuis cette terre,
La force lui manquait pour observer les astres.
 »

Lui succédera Anaximandre comme maître de l’école Milésienne. Puis d’autres encore, moins célèbres…

Comme toutes les grandes cités antique Milet, connut diverses fortunes, grandeurs et malheurs et en 499 av. J.-C. lors de la révolte de l'Ionie contre la Perse, la cité fut prise après un siège et incendiée par les Perses en 494 av. J.-C. Ses habitants furent déportés à Suse, la capitale perse. Puis au IVe siècle av. J.-C., elle passa sous le contrôle de Mausole et en334 av. J.-C., elle fut prise par Alexandre le Grand.


Plus tard, Jules César (101-44) et Marc Antoine (83-30) séjourneront à Milet avant que la cité ne devienne un évêché.

Enfin, le méandre charriant, générations après générations, ses sables contraignit la mer à reculer si bien que le port s'affaissa et ne fut plus qu’un vague souvenir. La ville périclita, jusqu’à ce que Milet ne soit plus qu’un village rural…

Sans doute il y aurait beaucoup à dire de l’histoire au fond tragique de cette fière cité. Mais si la fatalité fait que tout doive finir, la subjectivité l’emporte sur les faits ; et ne reste dans le sillage de nos pas que la caresse de la lumière enveloppant les rêves des marcheurs aux regards tranquilles. Les lions des termes ne déverseront plus jamais leurs eaux pour rafraîchir le cœur de l’épouse de Marc-Aurèle sous le regard effrité d’un dieu fluvial… De la belle il ne reste que poussière, et lorsque nous quittâmes à regret le site, me retournant une dernière fois, je vis que les ombres s’étaient faites obliques…
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Quelques photographies 



















2 commentaires:

  1. Merci Cher Axel pour cette escapade initiatique en terre ionienne. Voilà qui ravive des souvenirs intenses lorsque, comme vous, je découvris ce site incroyable délaissé comme vous dîtes par les hordes de touristes affairés. Si j'en juge par les belles photos mises en ligne, votre déambulation fut aussi solitaire et tranquille ; la pierre surchauffée de ces ruines n'a-t-elle pas livré dans un murmure le secret de l'apeiron (Anaximandre) ou la saisissante intuition des atomes (Leucippe) ?
    Bien à vous

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    1. Cher Démocrite,

      Le billet est ancien. Et c’est lors du début de la migration depuis Overblog (miné désormais par la publicité) de quelques matières me tenant à cœur sur ce nouvel espace, que le souvenir de Milet m’est revenu, presque intact en son écrin.
      C’était en 2007, et le site était presque désert. Quelques personnes silencieuses, ainsi qu’une équipe d’archéologue en sueur, occupée à des relevés topographiques. Un ciel propice, comme vous l’avez si bien formulé, aux vastes intuitions – et au farniente à l’ombre.

      Sous des pluies diluviennes, précipitées contre les vitres en rafales.
      Bien à vous

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